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Paul VI's Apostolic Pilgrimage to Switzerland

Tuesday 10th June 1969

Venerable Pope Paul VI was a pilgrim to Switzerland on his 7th apostolic journey, on the occasion of the 50th anniversary of the International Labour Organization

Papa Paolo VI's day visit was to Geneva, where

Pope Paul VI's Greeting to the President of the Helvetic Confederation
Genève, mardi 10 juin 1969 - in French

"Monsieur le Président,
Les nobles paroles par lesquelles vous Nous accueillez à Notre arrivée sur la terre hospitalière de la Suisse Nous touchent profondément. Nous vous en remercions, et Nous avons plaisir à saluer, en votre personne, l’ensemble des populations de la Confédération Helvétique, chères à Notre cœur depuis bien longtemps et pour de multiples raisons.

Nous saluons également avec la plus déférente cordialité les Autorités qui vous entourent et qui sont, à divers titres, représentatives de la Ville et du Canton de Genève.

Un salut tout spécial à vous aussi, Monsieur le Directeur Général de l’Organisation Internationale du Travail, qui avez voulu Nous adresser, dès Notre arrivée, des paroles si délicates.

Oui, Notre joie est grande d’avoir pu accepter votre aimable invitation et venir fêter ici, à Genève, le cinquantième anniversaire de l’Organisation que vous présidez avec tant de distinction.

Ce bref séjour Nous procurera aussi l’occasion d’autres rencontres, dont Nous aimons à penser qu’elles pourront être riches d’heureuses conséquences à bien des égards.

Nous sommes reconnaissant à la Divine Providence, qui a bien voulu guider Nos pas jusqu’à cette ville célèbre, porteuse de tant de souvenirs, et siège aujourd’hui de tant de bienfaisantes institutions. En vous remerciant tous de votre cordial accueil, Nous invoquons sur ce Pays et en particulier sur ses dignes Représentants et sur tous ceux qu’il Nous sera donné d’y rencontrer, l’abondance des divines bénédictions."

PVI's Speech to the Assembly of the International Labour Organisation
on the occasion of the 50th anniversary of its foundation. Geneva, 10 June 1969 - in French, Italian & Spanish

"Monsieur le Président, Monsieur le Directeur Général, Messieurs,

INTRODUCTION

1. C'est pour Nous un honneur et une joie de participer officiellement à cette Assemblée, à l’heure solennelle où l’Organisation internationale du travail célèbre le cinquantième anniversaire de sa fondation. Pourquoi sommes-Nous ici? Nous n’appartenons pas à cet organisme international, Nous sommes étranger aux questions spécifiques, qui trouvent ici leurs bureaux d’étude et leurs salles de délibération, et notre mission spirituelle n’entend pas intervenir en dehors de son domaine propre. Si Nous sommes ici, c’est, Monsieur le Directeur, pour répondre à l’invitation que vous Nous avez si aimablement adressée. Et Nous sommes heureux de vous en remercier publiquement, de vous dire combien Nous avons apprécié cette démarche si courtoise, combien Nous en mesurons l’importance, et de quel prix Nous apparaît sa signification.

I. NULLEMENT ÉTRANGER À LA GRANDE CAUSE DU TRAVAIL MAIS AMI

2. Sans compétence particulière dans les discussions techniques sur la défense et la promotion du travail humain, Nous ne sommes pourtant nullement étranger à cette grande cause du travail, qui constitue votre raison d’être, et à laquelle vous consacrez vos énergies.

La Bible et le travail de l’homme

3. Dès sa première page, la Bible dont Nous sommes le messager nous présente la création comme issue du travail du Créateur (cfr. Gen. 2, 7) et livrée au travail de la créature, dont l’effort intelligent doit la mettre en valeur, la parachever pour ainsi dire en l’humanisant, à son service (cfr. Gen. 1, 29 et Populorum progressio, 22). Aussi le travail est-il, selon la pensée divine, l’activité normale de l’homme (cfr. Ps. 104, 23 et Eccli. 7, 15), et se réjouir et jouir de ses fruits un don de Dieu (cfr. Eccl. 5, 18), puisque chacun est tout naturellement rétribué selon ses œuvres (cfr. Ps. 62, 13 et 128, 2; Matth. 16, 27; 1 Cor. 15, 58; 2 Thess. 3, 10).

Le Christ et la dignité du travail

4. A travers toutes ces pages de la Bible. le travail apparaît comme une donnée fondamentale de la condition humaine, au point que, devenu l’un de nous (cfr. Io. 1, 14), le Fils de Dieu est devenu aussi en même temps un travailleur, qu’on désignait tout naturellement dans son entourage par la profession des siens: Jésus est connu comme «le fils du charpentier» (Matth. 13, 55). Le travail de l’homme acquérait par là les plus hautes lettres de noblesse que l’on pût imaginer, et vous les avez voulu présentes à la place d’honneur, au siège de votre Organisation, par cette admirable fresque de Maurice Denis consacrée à la dignité du travail, où le Christ apporte la Bonne Nouvelle aux travailleurs qui l’entourent, fils de Dieu eux aussi et tous frères.

Les pionniers de la justice sociale

5. S’il ne Nous appartient pas d’évoquer l’histoire, qui a vu naître et s’affermir votre Organisation, Nous ne pouvons du moins passer sous silence, en ce pays hospitalier, l’œuvre de pionniers tels que Mgr Mermillod et l’Union de Fribourg, l’admirable exemple donné par l’industriel protestant Daniel Le Grand, et la féconde initiative du catholique Gaspard Decurtins, premier germe d’une Conférence internationale sur le travail. Comment pourrions-Nous aussi oublier, Messieurs, que votre premier directeur avait à cœur, pour le 40ème anniversaire de l’encyclique de Léon XIII sur les conditions du travail, de rendre hommage aux «ouvriers tenaces de la justice sociale, entre autres ceux qui se réclament de l’encyclique Revum novarum» (cité par A. LE ROY, Catholicisme social et Organisation Internationale du Travail, Paris, Spes, 1937, p. 16). Et, dressant le bilan de «Dix ans d’Organisation Internationale du Travail» , les fonctionnaires du Bureau International du Travail, n’hésitaient pas à le reconnaître: «Le grand mouvement issu, au sein de l’Eglise catholique, de l’encyclique Rerum novarum, a prouvé sa fécondité» (Dix ans d’Organisation Internationale du Travail, Genève, B.I.T., 1931, p. 461).

De «Rerum novarum», à «Populorum progressio»

6. La sympathie de l’Eglise pour votre Organisation, comme pour le monde du travail, ne cessait dès lors de se manifester, et tout particulièrement dans l’encyclique Quadragesimo anno de Pie XI (Encyclique Quadragesimo anno, 15 Mai 1931, n. 24), dans l’allocution de Pie XII au Conseil d’administration du Bureau International du Travail (Allocution du 19 Novembre 1954), dans l’encyclique Mater et Magistra de Jean XXIII exprimant sa «cordiale estime envers l’O.I.T . . . . pour sa contribution valide et précieuse à l’instauration dans le monde, d’un ordre économique et social imprégné de justice et d’humanité, où les requêtes légitimes des travailleurs trouvent aussi leur expression» (Encyclique Mater et Magistra, 15 Mai 1961, n. 103). Nous-même avions la joie, au terme du Concile œcuménique du Vatican, de promulguer la Constitution pastorale Gaudium et spes élaborée par les évêques du monde entier. L’Eglise y réaffirme la valeur du «gigantesque effort de l’activité humaine individuelle et collective», tout comme la prévalence du travail des hommes sur «les autres éléments de la vie économique, qui n’ont valeur que d’instruments», avec les droits imprescriptibles et les devoirs que requiert un tel principe (Constitution pastorale Gaudium et spes, 7 décembre 1965, nn. 34 et 67-68). Notre encyclique Populorum progressio, enfin, s’est employée à faire prendre conscience de ce que «la question sociale est devenue mondiale», avec les conséquences qui en découlent pour le développement intégral et solidaire des peuples, le développement qui est «le nouveau nom de la paix» (Encyclique Populorum progressio, 26 mars 1967, nn. 3 et 76).

Observateur et Ami de l’OIT
et des autres institutions génevoises

7. C’est vous le dire: Nous sommes un observateur attentif de l’œuvre que vous accomplissez ici, bien plus, un admirateur fervent de l’activité que vous déployez, un collaborateur aussi, heureux d’être invité à célébrer avec vous l’existence, les fonctions, les réalisations et les mérites de cette institution mondiale, et de le faire en ami. Et Nous n’avons garde d’oublier, en cette circonstance solennelle, les autres institutions internationales genevoises, à commencer par la Croix-Rouge, toutes institutions méritantes et bien dignes d’éloges, auxquelles Nous aimons étendre nos salutations respectueuses et nos vœux fervents.

Temps et épreuves bravés au nom d’un noble idéal

8. Pour Nous qui appartenons à une institution affrontée depuis deux millénaires à l’usure du temps, ces cinquante années inlassablement vouées à l’Organisation Internationale du Travail sont la source de fécondes réflexions. Chacun sait qu’une telle durée est un fait vraiment singulier dans l’histoire de notre siècle. La fatale précarité des choses humaines, que l’accélération de la civilisation moderne a rendue plus évidente et plus dévorante, n’a pas ébranlé votre institution, à l’idéal de laquelle Nous voulons rendre hommage: «une paix universelle et durable, fondée sur la justice sociale» (Constitution de l’O.I.T., Genève, B.I.T., 1968, Préambule, p. 5). L’épreuve subie du fait de la disparition de la Société des Nations, à laquelle elle était liée organiquement, du fait aussi de la naissance de l’Organisation des Nations Unies sur un autre continent, bien loin de lui enlever ses raisons d’être, lui a au contraire fourni l’occasion, par la célèbre Déclaration de Philadelphie, voici 25 ans, de les confirmer et de les préciser, en les enracinant profondément dans la réalité du progrès de la société. «Tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et. la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales» (Ibid., art. 2, p. 24).

Hommage aux hommes et à l’œuvre

9. De tout cœur Nous Nous réjouissons avec vous de la vitalité de votre cinquantenaire, mais toujours jeune institution, depuis sa naissance en 1919 avec le traité de paix de Versailles. Qui dira les travaux, les fatigues, les veilles génératrices de tant de décisions courageuses et bénéfiques pour tous les travailleurs, comme pour la vie de l’humanité, de tous ceux qui, non sans mérite, lui ont consacré avec talent leur activité? Entre tous, Nous ne pouvons omettre de nommer son premier directeur, Albert Thomas, et son actuel successeur, David Morse. Nous ne pouvons non plus passer sous silence le fait qu’à leur demande, et presque depuis les origines, un prêtre a toujours été au milieu de ceux qui ont constitué, construit, soutenu et servi cette insigne institution. Nous sommes reconnaissant envers tous de l’œuvre accomplie, et Nous souhaitons qu’elle poursuive heureusement sa mission aussi complexe que difficile, mais vraiment providentielle, pour le plus grand bien de la société moderne.

II. L’O.I.T. AU SERVICE DES TRAVAILLEURS

10. Des voix mieux informées que la Nôtre diront quelle somme d’activités l’Organisation internationale du Travail a réalisée en cinquante années d’existence, et quels résultats elle a atteints avec ses 128 conventions et ses 132 recommandations.

Conception moderne et chrétienne: le primat de l’homme

11. Mais comment ne pas souligner le fait primordial et d’une importance capitale que manifeste cette impressionnante documentation? Ici - et c’est un fait décisif dans l’histoire de la civilisation -, ici le travail de l’homme est considéré comme digne d’un 356 intérêt fondamental. Il n’en fut pas toujours ainsi, on le sait, dans l’histoire déjà longue de l’humanité. Que l’on songe à la conception antique du travail (cfr., par exemple, CICÉRON, De Officiis, 1, 42), au discrédit qui l’entourait, à l’esclavage qu’il entraînait, cette horrible plaie, dont il faut hélas reconnaître qu’elle n’a pas encore entièrement disparu de la face du monde. La conception moderne, dont vous êtes les hérauts et les défenseurs, est tout autre. Elle est fondée sur un principe fondamental que le christianisme pour sa part a singulièrement mis en lumière: dans le travail, c’est l’homme qui est premier. Qu’il soit artiste ou artisan, entrepreneur, ouvrier ou paysan, manuel ou intellectuel, c’est l’homme qui travaille, et c’est pour l’homme qu’il travaille. C’en est donc fini de la priorité du travail sur le travailleur, et de la suprématie des exigences techniques et économiques sur les besoins humains. Jamais plus le travail au-dessus du travailleur, jamais plus le travail contre le travailleur, mais toujours le travail pour le travailleur, le travail au service de l’homme, de tout homme et de tout l’homme.

Face à la technique

12. Comment l’observateur ne serait-il pas impressionné de voir que cette conception s’est précisée au moment théoriquement le moins favorable à cette affirmation du primat du facteur humain sur le produit du travail, le moment même de l’introduction progressive de la machine, qui multiplie jusqu’à la démesure le rendement du travail, et tend à le remplacer? Selon une vision abstraite des choses, le travail accompli désormais par la machine et ses énergies, fournies non plus par les bras de l’homme, mais par les formidables forces secrètes d’une nature domestiquée, aurait dû prévaloir, dans l’estimation du monde moderne, jusqu’à faire oublier le travailleur, souvent libéré du poids exténuant et humiliant d’un effort physique disproportionné avec’ son trop faible rendement. Or il n’en est rien. A l’heure même du triomphe de la technique et de ses effets gigantesques sur la production économique, c’est l’homme qui concentre sur lui l’attention du philosophe, du sociologue et du politique. Car il n’est en définitive de vraie richesse que de l’homme. Or, qui ne le voit, l’insertion de la technique dans le processus de l’activité humaine se ferait au détriment de l’homme, si celui-ci n’en demeurait toujours le maître, et s’il n’en dominait l’évolution. S’il «faut en toute justice reconnaître l’apport irremplaçable de l’organisation du travail et du progrès industriel à l’œuvre du développement» (Populorum progressio, n. 26), vous savez mieux que quiconque les méfaits de ce qu’on a pu appeler la parcellisation du travail dans la société industrielle contemporaine (cfr. par exemple, G. FRIEDMANN, Où va le travail humain?; et Le travail en miettes, Paris, Gallimard, 1950 et 1956). Au lieu d’aider l’homme à devenir plus homme, il le déshumanise; au lieu de l’épanouir, il l’étouffe sous une chape d’ennui pesant. Le travail demeure ambivalent, et son organisation risque de dépersonnaliser celui qui l’accomplit, si ce dernier, devenu son esclave, y abdique intelligence et liberté, jusqu’à y perdre sa dignité (cfr. Mater et Magistra, n. 83, et Populorum progressio, n. 28). Qui ne le sait, le travail, source de fruits merveilleux quand il est véritablement créateur, peut au contraire (cfr. Ex. 1, 8-14), emporté dans le cycle de l’arbitraire, de l’injustice, de la rapacité et de la violence, devenir un véritable fléau social, comme l’attestent ces camps de travail érigés en institutions, qui ont été la honte du monde civilisé.

Le rôle salutaire de l’O.I.T.

13. Qui dira le drame parfois terrible du travailleur moderne, écartelé entre son double destin de grandiose réalisateur, en proie trop souvent aux intolérables souffrances d’une condition misérable et prolétarienne, où le manque de pain se conjugue avec la dégradation sociale pour créer un état de véritable insécurité personnelle et familiale? Vous l’avez compris. C’est le travail, en tant que fait humain, premier et fondamental, qui constitue la racine vitale de votre Organisation, et en fait un arbre magnifique, un arbre qui étend ses rameaux dans le monde entier, par son caractère international, un arbre qui est un honneur pour notre temps, un arbre dont la racine toujours fertile le sollicite à une activité continue et organique. C’est cette même racine qui vous interdit de favoriser des intérêts particuliers, mais vous met au service du bien commun. C’est elle qui constitue votre génie propre et sa fécondité; intervenir partout et toujours pour porter remède aux conflits du travail, les prévenir si possible, secourir spontanément les accidentés, élaborer de nouvelles protections contre de nouveaux dangers, améliorer le sort des travailleurs j en respectant l’équilibre objectif des réelles possibilités économiques, lutter contre toute ségrégation génératrice d’infériorité, pour quelque motif que ce soit - esclavage, caste, race, religion, classe -, en un mot défendre, envers et contre tous, la liberté de tous les travailleurs, faire prévaloir inlassablement l’idéal de la fraternité entre les hommes, tous égaux en dignité.

Sa vocation, faire progresser la conscience morale de l’humanité

14. Telle est votre vocation. Votre action ne repose, ni sur la fatalité d’une implacable lutte entre ceux qui fournissent le travail et ceux qui l’exécutent, ni sur la partialité de défenseurs d’intérêts ou de fonctions. C’est au contraire une participation organique librement organisée et socialement disciplinée aux responsabilités et aux profits du travail. Un seul but: ni l’argent, ni le pouvoir, mais le bien de l’homme. Plus qu’une conception économique, mieux qu’une conception politique, c’est une conception morale, humaine, qui vous inspire: la justice sociale à instaurer, jour après jour, librement et d’un commun accord. Découvrant toujours mieux tout ce que requiert le bien des travailleurs, vous en faites prendre peu à peu conscience et vous le proposez comme idéal. Bien plus, vous le traduisez en de nouvelles règles de comportement social, qui s’imposent comme des normes de droit. Vous assurez ainsi le passage permanent de l’ordre idéal des principes à l’ordre juridique, c’est-à-dire au droit positif. En un mot vous affinez peu à peu, vous faites progresser la conscience morale de l’humanité. Tâche ardue et délicate certes, mais si haute et si nécessaire, qui appelle la collaboration de tous les vrais amis de l’homme. Comment ne lui apporterions-Nous pas notre adhésion et notre appui?

Son instrument et sa méthode: faire collaborer
les trois forces sociales

15. Sur votre route, les obstacles à écarter et les difficultés a surmonter ne manquent pas. Mais vous l’aviez prévu, et c’est pour y faire face que vous avez recours à un instrument et à une méthode qui pourraient suffire à eux seuls pour l’apologie de votre institution. Votre instrument original et organique, c’est de faire conspirer les trois forces qui sont à l’œuvre dans la dynamique humaine du travail moderne: les hommes de gouvernement, les employeurs et les travailleurs. Et votre méthode - désormais typique paradigme -, c’est d’harmoniser ces trois forces, de les faire non plus s’opposer, mais concourir «dans une collaboration courageuse et féconde» (Allocution de Pie XII au Conseil d’administration du B.I.T., le 19 Novembre 1954), par un constant dialogue pour l’étude et la solution de problèmes toujours renaissants et sans cesse renouvelés.

Son but: la paix universelle par la justice sociale

16. Cette conception moderne et excellente est bien digne de remplacer définitivement celle qui a malheureusement dominé notre époque : conception dominée par l’efficacité recherchée à travers des agitations trop souvent génératrices de nouvelles souffrances et de nouvelles ruines, risquant ainsi d’annuler, au lieu de les consolider, les résultats obtenus au prix de luttes plus d’une fois dramatiques. Il faut le proclamer solennellement: les conflits du travail ne sauraient trouver leur remède dans des dispositions artificiellement imposées, qui privent frauduleusement le travailleur et toute la communauté sociale de leur première et inaliénable prérogative humaine, la liberté. Il ne sauraient pas plus le trouver du reste en des situations qui résultent du seul et libre jeu - comme on dit - du déterminisme des facteurs économiques. De tels remèdes peuvent bien avoir les apparences de la justice, ils n’en ont point l’humaine réalité. C’est seulement en comprenant les raisons profondes de ces conflits, et en satisfaisant aux justes revendications qu’ils expriment, que vous en prévenez l’explosion dramatique et que vous en évitez les conséquences ruineuses. Avec Albert Thomas, redisons-le: «Le ‘social’ devra vaincre ‘l’économique’. Il devra le régler et le conduire, pour mieux satisfaire à la justice» (Dix ans d’Organisation Internationale du Travail, Genève, B.I.T., 1931, Préface, p. XIV). C’est pourquoi l’organisation Internationale du Travail apparaît aujourd’hui, dans le champ clos du monde moderne où s’affrontent dangereusement les intérêts et les idéologies, comme une voie ouverte vers un meilleur avenir de l’humanité. Plus que nulle autre institution peut-être, vous pouvez y contribuer, tout simplement en étant activement et inventivement fidèles à votre idéal: la paix universelle par la justice sociale.

III. - VERS L'AVENIR

17. C’est pour cela que Nous sommes venu ici vous donner notre encouragement et notre accord, vous inviter aussi à persévérer avec ténacité dans votre mission de justice et de paix, et vous assurer de notre humble, mais sincère solidarité. Car c’est la paix du monde qui est en jeu, l’avenir de l’humanité. Cet avenir ne peut se construire que dans la paix entre toutes les familles humaines au travail, entre les classes et entre les peuples, une paix qui repose sur une justice toujours plus parfaite entre tous les hommes (cfr. Encyclique Pacem in terris, et Populorum progressio n. 76).

Une œuvre chaque jour plus urgente:
le cri de l’humanité souffrante

18. En cette heure contrastée de l’histoire de l’humanité, pleine de périls, mais remplie d’espérance, c’est à vous qu’il appartient, pour une large part, de construire la justice, et par là d’assurer la paix. Non, Messieurs, ne croyez pas votre œuvre achevée, elle devient au contraire chaque jour plus urgente. Que de maux - et quels maux! - que de déficiences, d’abus, d’injustices, de souffrances, que de plaintes s’élèvent encore du monde du travail. Permettez-Nous d’être devant vous l’interprète de tous ceux qui souffrent injustement, qui sont indignement exploités, outrageusement bafoués dans leur corps et dans leur âme, avilis par un travail dégradant systématiquement voulu, organisé, imposé. Entendez ce cri de douleur qui continue à monter de l’humanité souffrante!

Proclamer les droits et les faire respecter

19. Courageusement, inlassablement, luttez contre les abus toujours renaissants et les injustices sans cesse renouvelées, contraignez les intérêts particuliers à se soumettre à la vision plus large du bien commun, adaptez les anciennes dispositions aux besoins nouveaux, suscitez-en de nouvelles, engagez les nations à les ratifier, et prenez les moyens de les faire respecter, car il faut le redire: «il serait vain de proclamer des droits, si l’on ne mettait en même temps tout en œuvre pour assurer le devoir de les respecter, par tous, partout, et pour tous» (Message à la Conférence internationale des droits de l’homme à Téhéran, le 15 Avril 1968).

Défendre l’homme contre lui-même

20. Osons l’ajouter: c’est contre lui-même qu’il vous faut défendre l’homme, l’homme menace de n’être plus qu’une partie de lui-même, réduit, comme on l’a dit, à une seule dimension (cfr., par exemple, H. MARCUSE, L’homme unidimensionnel, traduit de l’anglais par M. Wittig et l’auteur, Paris, Editions de Minuit, 1968). Il faut à tout prix l’empêcher de n’être que le pourvoyeur mécanisé d’une machine aveugle, dévoreuse du meilleur de lui-même, ou d’un Etat tenté d’asservir toutes les énergies à son seul service. C’est l’homme qu’il vous faut protéger, un homme emporté par les forces formidables qu’il met en œuvre et comme englouti par le progrès gigantesque de son travail, un homme entraîné par l’élan irrésistible de ses inventions, et comme étourdi par le contraste croissant entre la prodigieuse augmentation des biens mis à sa disposition, et leur répartition si facilement injuste entre les hommes et entre les peuples. Le mythe de Prométhée projette son ombre inquiétante sur le drame de notre temps, où la conscience de l’homme n’arrive pas à se hausser au niveau de son activité et à assumer ses graves responsabilités, dans la fidélité au dessein d’amour de Dieu sur le monde. Aurions-nous perdu la leçon de la tragique histoire de la tour de Babel, où la conquête de la nature par l’homme oublieux de Dieu s’accompagne d’une désintégration de la société humaine? (cfr. Gen. 11, 1-9).

Du plus avoir au plus être: la participation

21. Dominant toutes les forces dissolvantes de contestation et de babélisation, c’est la cité des hommes qu’il faut construire, une cité dont le seul ciment durable est l’amour fraternel, entre les races et les peuples, comme entre les classes et les générations. A travers les conflits qui déchirent notre temps, c’est, plus qu’une revendication d’avoir, un désir légitime d’être qui s’affirme toujours davantage (cfr. Populorum progressio, nn. 1 et 8). Vous avez depuis cinquante ans tissé une trame toujours plus serrée de dispositions juridiques qui protègent le travail des hommes, des femmes, des jeunes, et lui assurent une rétribution convenable. Il vous faut maintenant prendre les moyens d’assurer la participation organique de tous les travailleurs, non seulement aux fruits de leur travail, mais encore aux responsabilités économiques et sociales dont dépend leur avenir et celui de leurs enfants (cfr. Gaudium et spes, n. 68).

Le droit des peuples au développement

22. Il vous faut aussi assurer la participation de tous les peuples à la construction du monde, et vous préoccuper dès aujourd’hui des moins favorisés, tout comme vous aviez hier pour premier souci les catégories sociales les plus défavorisées. C’est dire que votre œuvre législative doit se poursuivre hardiment, et s’engager sur des chemins résolument nouveaux, qui assurent le droit solidaire des peuples à leur développement intégral, qui permettent singulièrement «à tous les peuples de devenir eux-mêmes les artisans de leur destin» (Populorum progressio, n. 65). C’est un défi qui vous est aujourd’hui lancé à l’aube de la seconde décennie du développement. Il vous appartient de le relever. Il vous revient de prendre les décisions qui éviteront la retombée de tant d’espoirs et juguleront les tentations de la violence destructrice. Il vous faut exprimer dans des règles de droit la solidarité qui s’affirme toujours plus dans la conscience des hommes. Tout comme hier vous avez assuré par votre législation la protection et la survie du faible contre la puissance du fort - Lacordaire le disait déjà: «Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit» - (52ème Conférence de Notre- Dame, Carême 1848, dans Œuvres du R.P. Lacordaire, t. IV, Paris, Poussielgue, 1872, p. 494), il vous faut désormais maîtriser les droits des peuples forts, et favoriser le développement des peuples faibles en créant les conditions, non seulement théoriques, mais pratiques d’un véritable droit international du travail, à l’échelle des peuples. Comme chaque homme, chaque peuple doit pouvoir en effet, par son travail, se développer, grandir en humanité, passer de conditions moins humaines à des conditions plus humaines (cfr. Populorum progressio, nn. 15 et 20). Il y faut des conditions et des moyens adaptés, une volonté commune, dont vos conventions librement élaborées entre gouvernements, travailleurs et employeurs, pourraient et devraient fournir progressivement l’expression. Plusieurs organisations spécialisées travaillent déjà à construire ce grand' œuvre. C’est sur cette voie qu’il vous faut progresser.

Une raison de vivre pour les jeunes

23. C’est dire que, si les aménagements techniques sont indispensables, ils ne sauraient porter leurs fruits sans cette conscience du bien commun universel qui anime et inspire la recherche, et qui soutient l’effort, sans cet idéal qui porte les unes et les autres à se dépasser dans la construction d’un monde fraternel. Ce monde de demain, c’est aux jeunes d’aujourd’hui qu’il appartiendra de le bâtir, mais c’est à vous qu’il revient de les y préparer. Beaucoup reçoivent une formation insuffisante, n’ont pas la possibilité réelle d’apprendre un métier et de trouver un travail. Beaucoup aussi remplissent des tâches pour eux sans signification, dont la répétition monotone peut bien leur procurer un profit, mais ne suffit pas pour leur donner une raison de vivre et satisfaire leur légitime aspiration à prendre, en hommes, leur place dans la société.

Qui ne saisit,’ dans les pays riches, leur angoisse devant la technocratie envahissante, leur refus d’une société qui ne réussit pas à les intégrer, et dans les pays pauvres, leur plainte de ne pouvoir, faute de préparation suffisante et de moyens adaptés, apporter leur concours généreux aux tâches qui les sollicitent? Dans l’actuelle mutation du monde, leur protestation retentit comme un signal de souffrance et comme un appel de justice. Au sein de la crise qui ébranle la civilisation moderne, l’attente des jeunes est anxieuse et impatiente: sachons leur ouvrir les chemins de l’avenir, leur proposer des tâches utiles et les y préparer. Il y a tant à faire en ce domaine. Vous êtes bien conscients, d’ailleurs, et Nous vous félicitons d’avoir inscrit à l’ordre du jour de votre 53ème session l’étude de programmes spéciaux d’emploi et de formation de la jeunesse en vue du développement (Organisation Internationale du Travail, Rapport VIII (1), Genève, B.I.T., 1968).

CONCLUSION: LA FORCE DE L'ESPRIT D'AMOUR
SOURCE D'ESPÉRANCE

24. Vaste programme, Messieurs, bien digne de susciter votre enthousiasme et de galvaniser toutes vos énergies, dans le service de la grande cause qui est la vôtre, - qui est aussi la nôtre, - celle de l’homme. A ce combat pacifique, les disciples du Christ entendent participer de tout cœur. Car s’il importe que toutes les forces humaines collaborent pour cette promotion de l’homme, il faut mettre l’esprit à la place qui est la sienne, la première, car l’Esprit est Amour. Qui ne le voit? Cette construction dépasse les seules forces de l’homme. Mais, le chrétien le sait, il n’est pas seul avec ses frères dans cette œuvre d’amour, de justice et de paix, où il voit la préparation et le gage de la cité éternelle qu’il attend de la grâce de Dieu. L’homme n’est pas livré à lui-même dans une foule solitaire. La cité des hommes qu’il construit est celle d’une famille de frères, d’enfants du même Père, soutenus dans leur effort par une force qui les anime et les soutient, la force de l’Esprit, force mystérieuse, mais réelle, ni magique, ni totalement étrangère à notre expérience historique et personnelle, car elle s’est exprimée en paroles humaines. Et sa voix retentit plus qu’ailleurs dans cette maison ouverte aux souffrances et aux angoisses des travailleurs, comme à ses conquêtes et à ses réalisations prestigieuses, une voix dont l’écho ineffable, aujourd’hui comme hier, ne cesse et ne cessera jamais de susciter l’espérance des hommes au travail: «Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai». «Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car il seront rassasiés» (Matth. 11, 28 et 5, 10)."

Paul VI's Meetings in the Palace of the Nations
Geneva, 10 June 1969 - in French & Italian

I LAVORATORI

"Chers amis,
Nous éprouvons une grande joie à vous rencontrer, car dans la distribution tripartite qui caractérise l’Organisation Internationale du Travail, vous représentez un élément particulièrement précieux à Nos yeux: vous faites entendre ici, au siège d’une des plus hautes instances de ce monde, la voix des travailleurs!

Quand on réfléchit à l’histoire tourmentée des classes laborieuses, aux difficultés inouïes qu’elles éprouvèrent pendant si longtemps pour se faire entendre en haut lieu, on peut mesurer, avec un étonnement admiratif, le chemin parcouru, et comprendre ce que signifie cette constatation, en apparence si simple et presque banale: les travailleurs sont présents à l’organisation Internationale du Travail. Bien plus, c’est l’un des leurs qui préside pour la première fois l’Assemblée générale, en la personne du Secrétaire de l’Union des Syndicats suisses, Monsieur Jean Mori, que Nous sommes heureux de saluer tout spécialement.

Il y a là, en vérité, de quoi se réjouir, de quoi susciter et entretenir un immense espoir au cœur des travailleurs du monde entier. Il y a là aussi, laissez-Nous vous le dire, joie et espoir pour l’Eglise et pour celui qui vous parle, et qui, à la suite de ses grands prédécesseurs - Léon XIII, Pie XI et Jean XXIII en particulier - veut être pour le monde du travail, dans toute la mesure de ses forces, un défenseur et un ami.

Nous vous saluons donc tous avec une profonde estime et une profonde affection; et Notre seul regret est de ne pouvoir - à cause du temps trop limité dont Nous disposons - approcher personnellement chacun d’entre vous, Mais vous saurez lire dans Nos yeux et dans Notre cœur les sentiments qui Nous animent à votre égard. Et ces sentiments ne sont pas seulement les Nôtres: ce sont ceux de l’Eglise, comme peuvent l’attester les mémorables documents que sont les encycliques Rerum novarum, Quadragesimo anno et Mater et Magistra, pour ne citer que celles-là.

Chers amis, Nous voudrions vous laisser un mot qui reste dans votre mémoire comme le souvenir de cette brève visite.

Nous vous dirons: quelles que soient vos convictions personnelles, sachez que l’Eglise vous estime et vous aime, considérez-la comme une amie. Et sachez que, dans la fidélité à l’Evangile du Christ, les institutions de l’Eglise, et les personnes qui les représentent, sont et seront toujours pour vous non des étrangères, mais des amies.

Nous élevons Nos prières vers Dieu et Nous formons des vœux ardents pour que vos activités ici soient bénéfiques pour tout le monde du travail, et Nous invoquons de grand cœur sur vous, sur vos familles et sur vos Patries, l’abondance des bénédictions divines.

I DATORI DI LAVORO

Chers Messieurs,

Il est tout à l’honneur de l’organisation Internationale du Travail - Nous le relevions tout-à-l’heure devant la Conférence Générale - d’avoir compris, dès sa fondation, que l’heure était venue d’inviter à collaborer les trois grandes forces qui animent le dynamisme humain du travail dans le monde moderne: les hommes de Gouvernement, les employeurs, les classes travailleuses.

Dans une loyale discussion s’affrontent ainsi les optiques particulières selon lesquelles chacun des trois groupes envisage la solution des problèmes proposés. Nul ne pourrait sous-estimer l’importance capitale, dans ce dialogue, de ceux qui détiennent en quelque sorte la puissance économique, et qui ont le redoutable pouvoir de donner ou de refuser à leurs frères ce dont dépend leur subsistance et celle de leurs familles: le travail.

C’est là une bien grande responsabilité. Non seulement tout l’ordre extérieur de la société se trouve ainsi, pour une part, dans votre dépendance. Mais - ce qui est plus grave et d’un bien plus grand prix - c’est de vous que dépend, pour d’innombrables êtres humains, l’accès concret et réel à l’exercice de ces droits fondamentaux proclamés à l’envi dans tant de documents illustres, à commencer par la Déclaration de Philadelphie, dont votre Organisation est légitimement fière.

Vous comprendrez combien l’Eglise catholique est sensible à cet aspect humain de l’exercice de vos responsabilités; combien elle désire que tous ceux auxquels revient l’honneur de donner du travail aux autres soient pleinement conscients que ceux qu’ils emploient sont des hommes, sont leurs frères, créés et rachetés par le même Dieu. Seul ce sens de fraternité universelle, apporté au monde par le Christ et inlassablement prêché par l’Eglise, peut, pensons-Nous, permettre de surmonter définitivement les antagonismes et de résoudre fondamentalement les problèmes du monde du travail.

Voilà ce que Nous voulions vous dire en venant parmi vous. Et si un horaire très chargé ne Nous permet malheureusement pas de prolonger cette rencontre autant que Nous l’aurions voulu, soyez du moins assurés que Nous suivons avec attention vos problèmes, que Nous apprécions votre travail, et que de tout cœur Nous invoquons sur vos personnes, sur vos familles et sur vos Patries, l’abondance des divines bénédictions.

I DELEGATI DEI GOVERNI

Chers Messieurs,

Après avoir commémoré solennellement, devant la Conférence A générale, le cinquantième anniversaire de l’Organisation Internationale du Travail, Notre désir aurait été de pouvoir approcher personnellement chacun de ceux qui composent les trois grandes branches de cette magnifique institution: les hommes de Gouvernement, les délégués des Travailleurs, les représentants des Employeurs.

Un horaire très chargé Nous oblige à Nous contenter d’un salut collectif à chacun de ces groupes: soyez sûrs, du moins, que la brièveté qui Nous est imposée n’enlève rien, en ce qui Nous concerne, au plaisir et à la cordialité de cette rencontre.

Le groupe hautement qualifié auquel Nous avons l’honneur de Nous adresser présentement est sans doute celui dont le rôle est prépondérant et la responsabilité la plus grande: dans les décisions élaborées ici en fraternelle collaboration avec les délégués des Travailleurs et des Employeurs, vous apportez le point de vue des Gouvernements, autant dire de l’autorité qui sera ensuite chargée d’appliquer, dans les différents Pays, vos communes décisions. Est-il exagéré d’affirmer que vous tenez ainsi dans vos mains le sort d’innombrables travailleurs sur toute la surface de la terre? Et que de vos délibérations peut sortir pour eux l’allègement de charges parfois intolérables, la reconnaissance effective de droits essentiels, en un mot une plus haute qualité de vie et de bonheur humain?

C’est là, vous le comprendrez, une tâche à laquelle l’Eglise ne peut être indifférente, et c’est la raison de Notre présence à Genève aujourd’hui. En acceptant l’invitation de votre Directeur Général, Nous entendions montrer une fois de plus que l’Eglise est passionnément intéressée par le sort des travailleurs et par l’action de tous ceux qui s’emploient à l’améliorer: vous, Messieurs, les délégués des Gouvernements à l’O.I.T., vous êtes au premier rang de ceux-là. Et c’est pourquoi Nous désirons vous adresser une salutation toute particulière, Nous voudrions presque dire un remerciement: le remerciement de l’Eglise cathohque, pour toute l’excellente activité que vous déployez ici en faveur de vos frères du monde du travail.

Nous formons des vœux fervents, Messieurs, pour le succès croissant de ces activités. Et de grand cœur Nous invoquons sur vos personnes, vos familles et vos patries, les abondantes bénédictions du Dieu Tout-Puissant.

FEDELI E CITTADINI DELLA SVIZZERA

Salut, salut à vous tous, chers Fils de la Confédération Helvétique, qui Nous avez fait l’honneur de venir ici à Notre rencontre! Il y a longtemps que Nous connaissons et aimons votre Pays et que Nous avons appris à fréquenter le chemin de vos sanctuaires: Einsiedeln, Engelberg, Sachseln, Saint-Maurice, Locarno . . . Que de chers souvenirs font revivre dans Notre âme ces noms, ceux de vos cités, de vos lacs, de vos montagnes! Et comme Nous aimerions avoir le temps de les évoquer tous . . .

Mais Nous voulons vous dire plutôt une chose qui Nous a frappé, au cours de Nos séjours en Suisse: c’est le caractère accueillant de vos populations, leur hospitalité si cordiale, l’atmosphère de paix et de bienfaisante détente dont vous savez faire bénéficier vos hôtes.

Et il Nous semble que si vous répandez si bien la paix autour de vous, c’est que vous avez appris à la pratiquer entre vous, d’abord; vous donnez au monde l’exemple d’un peuple chez lequel les diversités ethniques, linguistiques et même religieuses, n’empêchent aucunement l’unité profonde du Pays et la bonne entente entre les citoyens.

Soyez-en félicités: car vous permettez ainsi à votre Patrie d’exercer, au sein des nations, une influence très bienfaisante au service de la paix. La Suisse grâce à son caractère pacifique, peut accueillir sur son sol des institutions internationales hautement qualifiées. Et c’est avec grand plaisir que Nous saluons parmi vous les fonctionnaires et les employés de l’Organisation des Nations Unies et de plusieurs autres Institutions internationales qui ont un siège dans ce Pays. Nous Nous réjouissons à la pensée que tant de bonnes énergies sont à l’œuvre ici pour la paix e le bien des hommes.

Quant à vous, chers Fils de Suisse, Nous ne pouvons que vous exhorter à être fidèles aux vertus traditionnelles de votre peuple: car c’est ainsi que vous attirez sur lui l’assistance et la bienveillance divines.

Nous les invoquons sur vous en ce moment, par l’intercession de Saint Nicolas de Flüe - le cher «Bruder Klaus», votre grand protecteur au Ciel - et Nous vous accordons de tout cœur, ainsi qu’à vos familles, à vos Cantons, à tout le. peuple helvétique, Notre Bénédiction Apostolique."

Paul VI's Address to delegates of Governments to I.L.O.
Geneva, 10 June 1969 - in English, French, Italian & Spanish

"Gentlemen,
Having solemnly commemorated in the General Conferences the fiftieth anniversary of the International Labour Organization, Our desire would have been to meet personally each of the members of the three great branches of this magnificent institution, the men of government, the delegates of the workers, the representatives of the employers.

A very heavy schedule forces Us to be content with a collective greeting to each group. Nevertheless, you may rest assured that the brevity imposed upon Us in no way lessens, on Our side, the pleasure and cordiality of this meeting.

This highly qualified group, to which We now speak, is without a doubt the group whose role is preponderant, whose responsibility is greatest. In the decisions discussed here in brotherly collaboration with the delegates of the workers and the employers, you present the viewpoint of the governments, that is, of the authority which will eventually have the duty of applying your common decisions in the various countries. Is it then exaggerated to state that you thus hold in your hands the destiny of numberless workers all over the earth? Or to say that your deliberations may lead for them to a lightening of their sometimes intolerable burdens, the efficacious recognition of essential rights, in fine, a higher quality of human life and happiness? You are well aware that this is a task to which the Church cannot be indifferent, and this is the reason of Our presence in Geneva today. When We accepted the invitation of your Director General, We intended to demonstrate once more the Church's passionate interest in the fate of labourers and in the action of all those who work to improve it. Among these, you, Gentlemen, as delegates of your governments to ILO, occupy the first rank. For this reason We wish to address to you a very special greeting, indeed, as it were, an expression of thanks—the gratitude of the Catholic Church for all the excellent activities which you perform here in favour of your brothers in the world of work. We express fervent good wishes, Gentlemen, for the increasing success of these activities. And with all Our heart We invoke upon you, upon your families and your Nations, the abundant blessings of Almighty God."

Paul VI's Address to Diplomatic Missions accredited to the Institutions
located in Geneva, Tuesday 10 June 1969 - in English, French, Italian & Spanish

"Gentlemen,
It is a privilege of this country that, by the enduring practice of wise and active neutrality, it has attracted the attention of those responsible for the destinies of peoples in the aftermath of the great world conflicts. This has enabled the city of Geneva to be chosen as the location of an imposing number of international institutions, and has obtained for Us the pleasure of meeting you today.

By your various Governments, Gentlemen, you are accredited to these institutions, and We are happy to greet, in your persons, men who have faith in these international organizations, who appreciate their work, and who contribute as far as they can to ensure its success Allow Us to felicitate you for this.

It is a characteristic of our times, this unusual amplitude attained by international problems and by the organisms which strive to solve them. It may be said of those who, like yourselves, sustain these organisms by active collaboration, that they truly work for the good of all mankind, and that their action merits esteem and respect.

That action is, perhaps, not always appreciated as it would deserve; this is because there is need of a whole new education in international life and activity and because, like any other kind of education, this requires much time and patience. Be them, Gentlemen, the skilful builders of this training! For collaborating as you do, on the international level, is the same as putting concord in the place of distrust; it is therefore the same as working in a positive way towards the construction of that edifice, so fragile, unceasingly threatened, yet so very desirable, which is called peace among peoples.

The Catholic Church appreciates and encourages such efforts; she wishes to be present herself each time that the true good of man is involved; and that is why the Holy See makes it a point to be represented at several of these organisms to which you yourselves are accredited. This fact suffices to prove the high value she attributes to those services rendered to the human community by this work carried on at the international level.

With all Our heart, then, Gentlemen, do We express Our wishes for the success of your activities. May God render them fruitful! May He deign to bless them, as We Ourself bless them in His Name; while We invoke His assistance and His ail-powerful protection upon yourselves, your families, and your respective Nations."

Paul VI's Address to the staff of the International Labour Organisation
Genève, mardi 10 juin 1969 - in French, Italian & Spanish

"Chers Messieurs, Membres du Personnel du Bureau International du Travail

Notre visite à votre Organisation Nous aurait semblé incomplète si Nous n’avions pu avoir, avec vous aussi, un bref contact.

C’est grâce à vous que le Bureau International du Travail peut remplir sa tâche si importante de réunir, distribuer et publier études et informations; d’offrir assistance aux Gouvernements qui le désirent; de promouvoir les recherches, de contrôler l’application des conventions, etc. . . . Immense champ d’activité, dont vous êtes les bons artisans, dans un travail souvent obscur, ignoré de beaucoup et en tout cas loin d’être apprécié, bien souvent, autant qu’il le mériterait.

Ce qui Nous semble être l’honneur et la grandeur de votre tâche, c’est l’idée qui l’oriente et la domine, et qui peut se résumer en un mot: le service. Vous êtes des serviteurs, de fidèles et actifs serviteurs du bien commun de l’humanité.

Que de vertus cela suppose! D’abord une irréprochable conscience professionnelle, un sens aigu du devoir; et puis une parfaite honnêteté, intellectuelle et morale, un total désintéressement; et tout cela dans une persévérance et une fidélité de tous les instants. En vérité ce n’est pas peu de chose de servir, comme vous le faites, une des plus nobles causes qui puissent être proposées à l’activité humaine.

Permettez-Nous de vous en féliciter et de vous dire combien l’Eglise apprécie ce service rendu par vous à l’humanité, combien elle s’en réjouit.

De grand cœur Nous invoquons sur vos personnes, sur vos familles et sur vos travaux l’abondance des divines bénédictions."

PVI's words to authorities of the Confederation, Canton & city of Geneva
mardi 10 juin 1969 - in French & Italian 

"Monsieur le Président de la Confédération Helvétique, Monsieur le Président du Conseil d’Etat, Messieurs,

Nous avons un plaisir tout particulier à vous remercier de votre accueil et à saluer en vous les Représentants hautement qualifiés de la Confédération Helvétique, du Canton et de la Ville de Genève.

A vous d’abord, Monsieur le Président, que Nous avions eu l’honneur de rencontrer jadis à Sachseln, s’adresse Notre salut déférent. C’est le salut - Nous osons le dire - non seulement de l’hôte d’un jour, mais de l’admirateur et de l’ami, oui, d’un fervent admirateur et d’un vieil ami de la Suisse. Que de fois Nous avons séjourné dans ce Pays, et bénéficié comme tous ceux qui y viennent, de l’hospitalité souriante et généreuse que votre peuple a le secret de réserver à ses hôtes, et qui lui attire tant de sympathies à travers le monde! Nous avons appris ainsi à connaître et à estimer les qualités de ce peuple, si constantes à travers les diversités ethniques ou linguistiques : son caractère naturellement laborieux et pacifique, mais qui sait aussi être fier et fort, comme peuvent en témoigner les fils de votre patrie qui, depuis plus de quatre siècles - et ce fut jadis parfois au péril de leur vie - montent la garde auprès du Pape au Vatican.

Parlant à des Autorités responsables de la Confédération, du Canton et de la Ville de Genève, Nous voudrions mentionner aussi deux traits caractéristiques du mode de vie et de gouvernement de votre Patrie, deux traits bien dignes de lui attirer la louange de tout observateur impartial.

Le premier, c’est le principe de la liberté démocratique, reconnue aux citoyens, quelles que soient leurs opinions personnelles, religieuses ou politiques. Ce qui est devenu peu à peu, grâce à Dieu, l’usage normal de tous les peuples civilisés, est chez vous une tradition ancienne, chèrement acquise, fièrement défendue, et qui saura trouver, Nous n’en doutons pas, toutes les applications requises par les exigences des temps nouveaux. Cette conception est en effet particulièrement harmonisée à la mentalité de l’homme moderne, si jaloux de son autonomie, si méfiant contre toute intervention de l’autorité qui semblerait la menacer ou la limiter.

L’Eglise elle-même sait reconnaître tout ce qu’il y a de positif et de bienfaisant dans cette notion de liberté humaine, si elle est entendue dans son sens juste; et les deux mille Pères du second Concile du Vatican ont été d’accord pour le reconnaître lorsque, procédant à un vaste examen de la situation de l’Eglise devant le monde moderne, ils ont élaboré le texte de la Constitution pastorale Gaudium et spes et de la Déclaration Dignitatis humanae sur le droit de la personne et des communautés à la liberté sociale et civile en matière religieuse.

Nous voulons relever une seconde caractéristique qui vaut à la Confédération Helvétique une place toute spéciale dans le concert des nations: c’est son attachement à la neutralité. Neutralité qui n’est pas synonyme d’indifférence, bien loin de là; neutralité active, pourrait-on dire; choix délibéré d’une position par laquelle votre peuple estime à juste titre pouvoir mieux servir la communauté des peuples que par une prise de partie en faveur de l’un ou de l’autre. Cet îlot de paix qu’a constitué la Suisse lors de deux dernières conflagrations générales a été, on peut le dire, un bienfait pour les autres nations.

Par sa neutralité ouvertement proclamée et scrupuleusement appliquée, la Suisse s’est acquis en outre un droit à devenir le siège de plusieurs importantes Organisations internationales; par là aussi, elle montre son souci de servir, dans une attention toujours en éveil aux besoins de la communauté humaine. Le Saint-Siège est le premier, Nous pouvons vous l’assurer, à s’en réjouir et à vous en féliciter.

Voilà, Messieurs, les réflexions que Nous a suggérées cette trop brève rencontre, que Nous ne voulons pas achever sans invoquer de tout cœur sur vos personnes et sur les responsabilités que vous assumez, à divers degrés, au service de votre Pays, l’abondance des divines bénédictions."

Pope Paul VI's Address on his visit to the Ecumenical Council of Churches
mardi 10 juin 1969 - in French & Italian 

"Monsieur le Secrétaire Général, Chers Frères dans le Christ,
Nous apprécions beaucoup vos paroles de bienvenue et Nous rendons grâces à Dieu de Nous donner de faire une visite de fraternité chrétienne au centre du Conseil œcuménique des Eglises. Qu’est-ce, en effet, que ce Conseil œcuménique, sinon un merveilleux mouvement de chrétiens, de «fils de Dieu qui étaient dispersés» (Io. 11, 52) et qui sont maintenant à la recherche d’une recomposition dans l’unité? Et quel est le sens de notre venue ici, sur le seuil de votre maison, sinon celui d’une joyeuse obéissance à l’impulsion secrète qui qualifie, par précepte et miséricorde du Christ, notre ministère et notre mission? Heureuse rencontre, en vérité, moment prophétique, aurore d’un jour futur et attendu depuis des siècles!

Nous voici donc parmi vous. Notre nom est Pierre. Et l’Ecriture nous dit quel sens le Christ a voulu attribuer à ce nom, quels devoirs il Nous impose: les responsabilités de l’apôtre et de ses successeurs. Mais laissez-Nous vous rappeler aussi d’autres noms que le Seigneur a voulu donner à Pierre pour signifier d’autres charismes. Pierre est pêcheur d’hommes. Pierre est pasteur. En ce qui Nous concerne, Nous sommes convaincu que le Seigneur Nous a donné, sans aucun mérite de Notre part, un ministère de communion. Et certes ce n’est pas pour Nous isoler de vous qu’il Nous a donné ce charisme, ni pour exclure entre nous la compréhension, la collaboration, la fraternité et finalement la recomposition de l’unité, mais bien pour Nous laisser le précepte et le don de l’amour, dans la vérité et l’humilité (cfr. Eph. 4, 15; 10. 13, 14). Et le nom que Nous avons pris, celui de Paul, indique assez l’orientation que Nous avons voulu donner à notre ministère apostolique.

Vous avez situé la rencontre de cet après-midi dans l’histoire de nos relations: Nous aussi Nous voyons dans ce geste un signe manifeste de la fraternité chrétienne qui existe déjà entre tous les baptisés et, pour autant, entre les Eglises membres du Conseil œcuménique et l’Eglise catholique. La communion existant actuellement entre les Eglises et communautés chrétiennes n’est, hélas, qu’imparfaite; mais, comme nous le croyons tous, c’est le Père des miséricordes qui, par son Esprit, nous conduit et nous inspire. Il guide tous les chrétiens dans la recherche de la plénitude de l’unité que le Christ veut pour son Eglise une et unique, afin qu’elle puisse mieux refléter l’ineffable union du Père et du Fils (Io. 17, 21) et mieux accomplir sa mission dans ce monde dont Jésus est le Seigneur : «afin que le monde croie» (ibid.).

C’est ce désir suprême du Christ, c’est l’exigence profonde de l’humanité croyante et rachetée par lui, qui tiennent notre âme dans une constante tension d’humilité et de regret pour les divisions qui existent entre les disciples du Christ; de désir et d’espérance pour le rétablissement de l’unité entre tous les chrétiens; de prière et de réflexion sur le mystère de l’Eglise, engagée, pour elle-même et pour le monde, à refléter et témoigner la révélation faite par Dieu le Père, par le Fils et dans l’Esprit-Saint. Vous comprendrez comment cette tension atteint pour nous, en ce moment-ci, un haut degré d’émotion, qui loin de nous troubler, rend au contraire plus lucide que jamais notre conscience.

Vous avez aussi mentionné la visite qu’a faite à ce centre, en février 1965, le bien-aimé cardinal Bea, et la mise sur pied d’un groupe mixte de travail. Depuis la création de cette équipe, Nous avons suivi avec intérêt son activité et Nous désirons dire, sans hésitation, combien Nous apprécions le développement de ces relations entre l’Eglise catholique et le Conseil œcuménique, deux organismes très différents par nature, certes, mais dont la collaboration s’est avérée fructueuse.

D’un commun accord avec notre Secrétariat pour l’unité, des personnalités catholiques compétentes ont été invitées à participer à votre activité à des titres divers. La réflexion théologique sur l’unité de l’Eglise, la recherche d’une meilleure compréhension de la signification du culte chrétien, la formation profonde du laïcat, la prise de conscience de nos communes responsabilités et la coordination de nos efforts pour le développement social et économique et pour la paix entre les nations, voilà quelques exemples des domaines où cette collaboration a commencé à prendre corps. Les possibilités d’une approche chrétienne commune du phénomène de l’incroyance, des tensions entre les générations, et des relations avec les religions non chrétiennes ont été également envisagées.

Ces relations témoignent de notre désir de voir progresser les entreprises actuelles, selon que le permettront nos possibilités en hommes et en ressources. Un tel développement suppose qu’au niveau local le peuple chrétien soit préparé au dialogue et à la collaboration œcuménique. N’est-ce pas pour cela que, dans l’Eglise catholique, la promotion de l’effort œcuménique a été confiée aux soins diligents et à la prudente direction des évêques (cfr. De Œcumenismo n. 4), selon les normes établies par le Concile du Vatican et précisées dans le Directoire œcuménique?

Certes, Notre première préoccupation est davantage la qualité de cette coopération multiforme que la simple multiplication des activités. «Il n’y a pas de véritable œcuménisme, dit le Décret Conciliaire, sans conversion intérieure. Car c’est du renouveau de l’âme (cfr. Eph. 4, 24), du renoncement à soi-même et d’une libre effusion de la charité que partent et mûrissent les désirs d’unité» (De Œcumenismo, n. 7). La fidélité au Christ et à sa parole, l’humilité en face du travail de son Esprit en nous, le service de tous et de chacun, voilà en effet les vertus qui donneront à notre réflexion et à notre travail sa qualité chrétienne.

Alors seulement la collaboration de tous les chrétiens exprimera vivement l’union déjà existante entre eux et elle mettra en plus lumineuse évidence le visage du Christ serviteur (cfr. ibid. n. 12).

A cause de cette collaboration croissante en de si nombreux domaines d’intérêt commun, on pose parfois la question: l’Eglise catholique doit-elle devenir membre du Conseil œcuménique? Que pourrions-Nous, en ce moment, répondre à cette question? En toute franchise fraternelle, Nous ne considérons pas que la question de la participation de l’Eglise catholique au Conseil œcuménique soit mûre au point que. l’on puisse ou doive donner une réponse positive. La question reste encore dans le domaine de l’hypothèse. Elle comporte de graves implications théologiques et pastorales; elle exige par conséquent des études approfondies, et engage dans un cheminement dont l’honnêteté oblige à reconnaître qu’il pourrait être long et difficile. Mais cela ne Nous empêche pas de vous assurer que Nous regardons vers vous avec grand respect et profonde affection. La volonté qui nous anime et le principe qui nous dirige seront toujours la poursuite pleine d’espérance et de réalisme pastoral de l’unité voulue par le Christ.

Monsieur le Secrétaire Général! Nous prions le Seigneur de nous faire progresser dans notre effort d’accomplir ensemble notre commune vocation à la gloire du Dieu unique, Père, Fils et Saint Esprit. Laissez-Nous terminer par les paroles mêmes de Jésus qui seront notre conclusion et notre prière: «Que tous soient un. Comme ‘toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un: moi en eux et toi en moi, pour qu’ils soient parfaitement un, et que le monde sache que tu m’as envoyé et que je les ai aimés comme tu m’as aimé . . . Je leur ai révélé ton nom et le leur révélerai, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux» (Io. 17, 21-23, 26)."

Pope Paul VI's Homily at Mass in Parc de la Grange
mardi 10 juin 1969 - in French & Italian 

"Frères vénérés, Fils très chers,
Quel bonheur, quelle joie pour Nous de pouvoir vous rencontrer, au terme de cette journée historique, et unir Notre prière à la vôtre, ô membres fidèles de l’Eglise Catholique, ô loyaux citoyens de votre libre et noble Pays, la Suisse! Quel repos, quel réconfort, quelle grâce pour le Pasteur pèlerin que Nous sommes! Quelle plénitude débordante de sentiments humains et spirituels remplit Notre cœur, au souvenir d’autres visites - privées et quasi furtives - qu’en des années maintenant lointaines Nous fîmes à cette terre aimable et hospitalière? Que d’images de personnes chères et vénérées, de sites merveilleux et accueillants, Nous reviennent en mémoire!

Et voici que la Suisse Nous offre, encore une fois, un instant de détente et de réflexion. Qu’à vous tous aille Notre remerciement et Notre salut. A tous et à chacun. Outre les deux Cardinaux de cette Nation, que Nous avons appelés à une plus étroite collaboration avec Nous, Nous voulons. nommer explicitement votre Evêque, Monseigneur François Charrière, Pasteur de ce diocèse tripartite. A lui, comme aux autres Evêques suisses ici présents, Nous voulons laisser, comme encouragement et gage de fécond ministère auprès de leur peuple, Notre Bénédiction Apostolique.

Mais célébrant maintenant les saints mystères, qui appellent parmi nous la présence réelle et sacramentelle du Corps et du Sang du Christ et perpétuent le sacrifice de sa passion rédemptrice, Nous devons faire Nôtre, à votre intention, une de ses paroles; Nous devons, comme apôtre et témoin de son Evangile, Nous faire, pour un instant, l’écho de sa voix. Oh! Frères et Fils très chers, ce n’est pas Notre voix, c’est la sienne, celle du Seigneur Jésus, que vous entendez, en écoutant cette parole éternelle de lui que Nous vous adressons maintenant.

«Bienheureux les pacifiques - ceux qui procurent la paix (éirenopoioi) - car ils seront appelés enfants de Dieu». Il Nous semble que ce message convient à Notre ministère, qu’il convient à votre mission comme catholiques et fils de la Nation helvétique, et qu’il convient à l’heure présente et future de l’histoire du monde moderne.

Nous Nous sommes bien souvent - et aujourd’hui encore - efforcé d’affirmer le rapport essentiel qui existe entre la justice et la paix: celle-ci dérive de celle-là. Mais ici Nous pouvons établir un rapport encore plus profond et plus opérant, celui qui existe entre l’amour et la paix.

Deux forces opposées, peut-on dire, soulèvent le monde: l’amour et la haine. C’est comme le flux et le reflux qui ne cessent d’agiter l’océan de l’humanité. Et le conflit semble s’amplifier avec le temps, opposant non plus cité à cité, ou nation à nation, mais continent à continent.

A l’égard de Dieu, la révélation évangélique du Dieu d’amour a transformé la situation spirituelle de l’humanité. Il lui faut désormais ou bien dire oui à un Dieu, qui est Amour et qui nous demande l’amour, notre suprême amour: alors elle - l’humanité - est soulevée par une force et une espérance encore inconnues de l’histoire du monde. Ou bien il lui faut refuser le Dieu d’Amour, et elle en sera ébranlée jusque dans ses fondements: viendront la tentation de la haine absolue, de la violence absolue, la folie des guerres mondiales.

Car l’amour construit, mais la haine détruit. A certains moments, du fait qu’elle libère des forces jusque-là convergentes, - et c’est ce qui se produit dans la désintégration de l’atome - la haine peut paraître la plus forte. Mais c’est une illusion. La haine et la violence détruisent et se détruisent. Elles tendent au néant. C’est l’amour qui est fort et qui est le plus fort. A la suite de Jésus les saints l’ont compris. Les saints, à chaque point du temps et de l’espace où ils vivent, nous apportent comme un rayon particulier, détaché de la sainteté infinie de Jésus. La vie de chacun d’eux est pour l’époque où il vit comme une réalisation existentielle et immédiate d’une des béatitudes du Sermon sur la Montagne. L’histoire de votre grand Saint national est typique à cet égard. Saint Nicolas de Fluë a vécu pour son époque la béatitude que Nous venons de rappeler, fa béatitude de ceux dont le Sauveur a dit: Bienheureux les pacifiques, car ils seront appelés enfants de Dieu.

La paix, selon la formule célèbre de S. Augustin, est définie «la tranquillité de l’ordre» (De Civ. Dei, 19, 11, 1). Elle n’est pas una faiblesse, mais une force, une puissance; elle est un ordre de l’amour: «ordo amoris», une harmonie suprême, une constante victoire de l’amour sur les passions et les désirs contrastants qui habitent le cœur de l’homme. La justice peut préparer et conditionner la paix, mais elle ne peut à elle seule la créer; seule la force unitive, la vis unitiva de l’amour peut créer la paix (S. THOMAS, II-II, q. 29, a. 3, ad 3).

Le Dieu d’Amour est un Dieu de Paix, le «Deus pacis et dilectionis», dont parle S. Paul aux Corinthiens (2 Cor. 13, 11).

Les saints, en se plongeant dans l’amour de Dieu, se plongent dans la paix de Dieu, et, revenant à nous, c’est la paix de Dieu qu’ils nous apportent. Ils sont des pacificateurs, des faiseurs de paix divine au milieu des hommes; encore une fois écoutons le refrain évangélique: Bienheureux les pacifiques, car ils seront appelés enfants de Dieu.

Nicolas de Fluë, sous les yeux duquel nous sommes ici rassemblés, a été un homme de Dieu, un pacificateur. Le message secret que, dans la nuit du 21 au 22 décembre 1481, Heini am Grund vint chercher dans la silencieuse petite cellule du Ranft, fut suffisant pour dissiper les haines et étouffer la guerre civile (cfr. CH. JOURNET, Saint Nicolas de Fluë, Seuil, 1947, pp. 74-76).

Votre Saint croyait à la victoire de l’esprit de paix: «La paix, disait-il, est toujours en Dieu, car Dieu est la Paix. Et la paix ne peut être détruite, mais la discorde se détruit elle-même». Comme on est loin de ceux qui déclareront la guerre plus féconde que la paix, et qui proclameront que la haine est plus noble que l’amour (ibid.)!

Les derniers mots de la Lettre de Nicolas à ses concitoyens sont émouvants: «Je ne doute pas, leur dit-il, que vous ne soyez de bons chrétiens. Je vous écris pour vous avertir, afin que, si le mauvais esprit vous tente, vous lui résistiez d’autant mieux, en chevaliers. C’est tout. Dieu soit avec vous» (ibid., p. 86).

Vous voyez comment, aux paroles du Christ, font suite celles de votre Saint, dans lequel se reflète de façon impressionnante la figure ascétique et prophétique du Seigneur Jésus, et dans lequel, comme on l’a dit, «les Suisses voyaient leur meilleur moi» (ibid., p. 7 5 ).

Comme ces reflets sont pleins de lumière et de mystère! Comme elles, sont éloquentes, aujourd’hui encore, ces résonances, qui à travers les tumultueuses expériences de l’histoire, arrivent aux oreilles de notre âme!

Tâchons d’être sensibles aux impressions de l’Esprit, aux signes des temps! En hommes authentiques et forts de notre temps, en chrétiens désireux d’être disciples fidèles du Divin Maître, en catholiques vivant dans le mystère de vérité et de charité qu’est la sainte Eglise de Dieu, efforçons-nous d’être - qu’il s’agisse de la cellule intérieure de nos âmes, de nos familles et de nos relations sociales immédiates, ou du rayon plus ample du monde où la Providence nous a placés - efforçons-nous d’être de généreux artisans de paix dans la charité: et nous recevrons la béatitude évangélique, qui vaut pour la vie présente et pour la future: nous serons mis au nombre des enfants de Dieu.

Qu’il en soit ainsi, avec Notre Bénédiction Apostolique. "